"Elle s'en va" d'Alex Saint-Jeures
- solifleur
- 4 juil. 2017
- 4 min de lecture
J'aimerais aujourd'hui vous partager un texte que j'ai reçu en mail, il y a peu de temps. Il a été écrit par Alex Saint-Jeures, une amie auteure rencontrée lors du stage d'été 2016 à l'Académie d'Écriture d'Anaël Verdier. Nous avons gardé contact et j'en suis ravie car j'apprécie Alex tant pour la femme que pour l'auteure.
J'aime, quand j'écris, avoir son avis et elle fait partie de mes bêta-lectrices. Son aide pour l'orthographe et la conjugaison est aussi très utile car c'est loin d'être mon point fort... Mais bon, je l'assume de mieux en mieux, après tout je veux écrire des livres, pas gagner la première place à la dictée de Monsieur Pivot. Je crois que cela a été un grand frein aussi, à ma liberté d'écrire mais j'ai décidé de ne plus en souffrir.
Il y a quelques temps, j'ai envoyé un texte à Alex. Un texte qui parle, d'Elsa, une ado de 17 ans qui vit au plus profond d'elle sa foi chrétienne. Elle partage cette foi avec sa grand-mère, alors que ses parents, notamment sa mère n'y voit qu'une lubie momentanée. Au retour de son week end de préparation pour sa confirmation, Elsa a pris une grande décision, celle de vouer sa vie à Dieu en rentrant dans les ordres. Parviendra-t-elle à réaliser son rêve?
Ce texte n'est pas encore publié mais cela ne saurait tarder puisqu'il finit de se faire beau ces jours. Ce que je trouve chouette, c'est qu'après sa lecture, Alex a été inspiré par Elsa. Le texte "Elle s'en va" est alors né. Et à sa lecture il m'a emporté, si beau, si poétique.
C'est une vraie représentation de ce qu'il y a de merveilleux dans les relations humaines et aussi dans l'écriture. Ce que vous déposez inconsciemment chez quelqu'un va germer, pousser et avoir sa propre existence, donnant naissance à autre chose qui aura à nouveau cet effet chez une autre personne. Waouh!.....
Cet été, Alex retourne au stage d'août à l'Académie, j'en suis ravie car elle va pousser encore plus son écriture. Elle a tellement de talent, que ce serait dommage de ne pas lui donner toute son ampleur, et Anaël est la personne idéale pour cela. Faire naître l'auteur en nous c'est son job, et je vous affirme qu'il excelle en la matière.

Elle s’en va
Alex Saint-Jeures - 2017
Elle s’en va. Frêle silhouette. Elle me tourne le dos. A petits pas pressés, mine de rien, elle me fuit. Elle a relevé sa robe fruste de nonne pour ne pas trébucher. Le visage abrité par sa cornette, elle regarde ses pieds. Elle ne court pas. Non. Elle m’ignore. Ma présence immobile et massive derrière elle ne pèse rien dans sa conscience. Déjà elle atteint la lumière. Ses petits pieds volent au-dessus des pavés tandis que sa robe caresse l’herbe en bordure du chemin.
Elle arrive sur la route principale.
Celle qui file vers les champs.
Celle qui laisse le village.
Celle qui me laisse.
Pourquoi avais-je cru qu’elle serait différente ? Pourquoi avais-je cru qu’elle me comprendrait ? Enfin, m’étais-je dit en la voyant. Enfin ! Elle était entrée dans la fraicheur des vieux murs, avait remonté la nef, s’était agenouillée devant l’hôtel. Je l’observais. Elle était jeune. Je l’écoutais. Elle avait prié Dieu avec dévotion, lui demandant de lui envoyer un signe pour confirmer sa vocation. J’avais bien compris qu’elle doutait.
De ma longue expérience, je n’ai jamais entendu Dieu s’adresser à quiconque. Oui, on relate bien le cas de Jeanne d’Arc, mais n’est-ce pas un mythe ?
A ce moment-là je m’étais dit que j’aimerais bien la connaître. Ma solitude me pesait. J’avais vraiment envie qu’elle reste. C’est à ce moment-là que j’avais décidé de lui révéler ma présence.
Je suis l’Esprit de cette église. Je ne suis pas son Saint Patron. Non, je suis son Esprit. Je suis né au Moyen-âge, en même temps que les ouvriers montaient les murs. J’en épouse approximativement les contours et j’en suis le gardien, ou plutôt la gardienne puisque je suis plutôt d’essence féminine.
La plupart du temps, les personnes qui entrent dans l’église perçoivent ma présence. Elles disent des choses comme « ce lieu est vivant, il a une âme ». Elles trouvent qu’il y a une certaine atmosphère apaisante et de recueillement. Je suis une présence bienveillante.
Mais pour mon plus grand malheur, les gens ont oublié comment communiquer avec les esprits. Ils pensent que nous n’existons pas. Et a fortiori ceux qui viennent dans les églises.
Je vivais donc dans une solitude mortifère depuis les siècles des siècles. Tous ces gens sous mon aile protectrice, mais personne pour m’ouvrir son cœur et écouter ma détresse. Je déprimais, seule au milieu de la foule. Esprit solitaire et isolé dans un monde d’humains trop rationnels.
Et elle est entrée.
Et elle a douté.
Et elle a attendu un signe !
Alors, je me suis manifestée. Je lui ai transmis par télépathie, une image de qui je suis vraiment. Je suis très belle, avec un cœur et des vitraux gothiques rayonnants, un clocher avec une horloge, une jolie toiture bleue. Là où l’église de pierre n’affiche que froide droiture et angles acérés, je montre des courbes gracieuses et une ligne ondulante. J’ai certainement été danseuse orientale dans une autre vie.
Et pour la première fois depuis plus de 800 ans, quelqu’un m’a comprise. Oui. Elle s’est levée.
Elle a dit : « Merci mon Dieu ! ».
J’ai dit : « Reste, je ne suis pas Dieu ». Je n’aurais pas dû. Elle n’était pas préparée.
Elle a dit : « Qui est là ? Qui parle ? »
Je lui ai expliqué. Elle s’est signée.
Elle a dit : « Mon Dieu, prends pitié de moi, protège-moi de ce démon ».
Je l’ai implorée. Je lui ai dit ma peine, ma souffrance, ma solitude. Mais c’était trop tard. Elle avait eu peur. Elle a fermé son cœur. Et maintenant elle vole au-dessus des pavés qui l’éloignent de moi.
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