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Pieds et poings liés

  • solifleur
  • 20 mars 2017
  • 2 min de lecture

Diane de Man

Lorsque je l’aperçus, le regard plein de larmes, les yeux dans le vague, je ne pus m’empêcher de m’inquiéter pour elle.

Elle ne me parlait que très peu de ses tourments, mais je vis qu’elle n’allait pas bien.

Comment savoir ce que je pouvais dire, ce que je pouvais faire? Comment saisir habilement cette perche qu’elle semblait me tendre, sans me l’accaparer? Sans glisser insidieusement et involontairement dans cette cruauté plus ou moins consciente qui, sous couvert de bien la comprendre, l’obligerait à tout me dire, même si cela devait la briser?

Comment ne pas se vautrer dans cette empathie saupoudrée de vanité, d’être celle qui tenterait de la sauver?

Je souhaitais réellement ne pas l’assaillir, juste l’accueillir.

Elle mis longtemps, hésita, pleura encore, se moucha, puis d’un coup, d’un seul se lança. Son flot de paroles était tel, qu’on aurait dit un torrent de montagne déversant sa crue nivale, arrachant feuilles et branchages sur son passage.

Tout était violence. Le rythme, ses mots, le ton, ses silences.

Ses doigts, crispés, blanchissaient sous la pression et sa respiration, saccadée, envahissait tout l’espace aux environs.

Ses longues tirades étaient entrecoupées de longs sanglots touchants et remplis d’une tristesse infinie. Comme ceux des enfants. Des larmes, lourdes de toutes ses émotions, dévalaient ses joues, allant s’écraser sur les commissures tendues et affaissées de ses lèvres. Il fallait qu’elle pleure. Qu’elle pleure sa peine, sa colère, sa rage. Qu’elle pleure ses désillusions, mais aussi sa culpabilité et sa honte.

Le plus dur pour elle, m’expliqua-t-elle, était l’absence de certitudes concernant l’issue.

Ce sentiment oppressant qu’il ne la laisserait jamais tranquille. Cette appréhension que l’addiction qu’il nourrissait pour elle, l’emmènerait loin, qu’il la retiendrait toujours prisonnière et que seul « en finir « semblait l’option qui lui permettrait de lui échapper.

La détresse qui alluma alors ses yeux, me fit comprendre à quel point elle en était persuadée.

« Il n’est coupable que de tenter de s’engouffrer dans les failles qu’il a perçues de toi. Quoi que tu en penses, tu n’es pas pieds et poings liés. Toi seule a le pouvoir de l’arrêter. Toi seule lui donne le pouvoir de continuer.

En dehors de toi-même, tu n’es la prisonnière de rien, ni personne. Toutes ces années, tu as excellé à te cacher derrière des tas de bonnes raisons, des tas de coupables, derrière lui, bien que je ne valide pas pour autant sa conduite.

Aujourd’hui, regarde bien ta colère et ta peine, toutes deux que tu détestes tant. Elles ont pourtant été tes meilleures alliées. Elles seules t’ont gardée en contact avec toi. Elles seules t’ont gardée en vie. Elles étaient la simple manifestation que, quoi que tu pensais, tu ne t’étais pas abandonnée totalement. Elles étaient ce petit trou par lequel tu vas sortir, celui auquel il faut t’accrocher, ce petit rayon qui bien qu’il ne paraisse pas être de la lumière, en est bien, de la lumière. »

Mes mots avaient traversé la pièce, presque en silence.

Je sus qu’elle avait compris, lorsqu’enfin, de l’autre côté du miroir, elle me vit.

 
 
 

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