Libre-service
- solifleur
- 20 févr. 2017
- 5 min de lecture

Cela fait deux mois que je tente d'écrire ce post, et dix jours que je résiste, repoussant, repoussant sans cesse l'échéance. Depuis le 16 février, chaque jour je planifie sa publication un jour plus tard, car il n'est toujours pas écrit. Et ce soir, je me suis fait prendre au piège de la technique puisque par mégarde il a été publié sans texte, ne l'ayant pas planifié pour demain. Aussi ai-je décidé de l'écrire dans l'instant, sans filet, pour ne pas le supprimer et suivre le cours des choses. Je saisis au vol ce que la vie m'envoie ce soir, un défi, en premier lieu, et j'aime plutôt ça! Et le moyen de me confronter à cet article, enfin...
Cette procrastination n'était pas liée à ma fainéantise, où mon désintérêt. Ma difficulté à affronter ce que je veux / pense / crois trouver au travers de cet article semble en être la cause.
Depuis mon entrée à l'académie d'écriture, le thème de la liberté est central pour moi. Tellement que parfois j'ai le sentiment que ce mot à lui seul pourrait définir mon univers d'auteure. Le blog m'offre un espace de jeux, d'expérimentation, une sorte de chemin initiatique dans le voyage extraordinaire que sont l'apprentissage et la pratique de l'écriture. Il m'a permis de me décoincer, d'oser en me sentant justement libre mais aussi protégée. Libre, ce mot, maintenant...
Lorsque j'ai construit la trame de cette première année d'articles, tout me semblait très clair et je croyais ressentir parfaitement ce que je voulais traduire dans chaque billet. Et il m'a été très pénible de me rendre compte que je n'arrivais pas à écrire celui-là. J'avais déjà commencé celui d'après mais je me suis vite retrouvée bloquée par le précédent inexistant. J'ai pourtant appris l'écriture en patchwork et cela ne me pose pas de soucis habituellement. Mais là, ce besoin impérieux de faire les choses dans l'ordre, pour mieux comprendre.
Et tout cas, d'un coup, je me demande ce que je ne me sens pas libre de dire au sujet de la liberté pour mettre autant à distance cet article, alors même que je touche du doigt le coeur de mon questionnement.
La seule trace de ma pensée d'il y a deux mois, est la citation que j'avais retenue pour illustrer cet article sur la liberté extérieure.
" Le mot liberté est dans toutes les bouches, l'envie de dominer est dans tous les coeurs."
Pierre-Claude-Victor BOISTE, dictionnaire universel, 1843. De nombreuses choses se bousculent dans ma tête et j'espère réussir à être claire et concise vu l'exercice de style d'écrire spontanément.
La première chose qui m'avait frappée, était la fracture qui me paraissait gigantesque entre le désir proclamé (défendre la liberté) et le désir ressenti (dominer/posséder). Et à la fois, lorsque j'avais lu cette citation, combien je l'avais trouvée juste! Je n'ai pas voulu y voir une vision péjorative avec d'un côté ce qu'il faut dire pour la bienséance et de l'autre ce que l'on pense réellement et que l'on cache, mais bien un réel désir qui s'oppose à un autre réel désir, plus inconscient.
Je repense aux esprits étriqués dont je parlais dans mon à propos. Il me semble que nous fonctionnons selon des réflexes conditionnés, comme si nous avions un mode de pensée limité, et que bien que nous ayons l'envie de nous en affranchir, il soit difficile de totalement supprimer ces réflexes superficiels et inconscients. Comme si sur le ring, l'adulte se retrouvait face à l'enfant et son incapacité à gérer la frustration. En prendre conscience et tenter d'ancrer ses raisons au plus profond de son humanité aiderait à diminuer ces instincts. L'image qui me vient alors, ce sont les colonies, ces terres conquises par soif de découverte et de liberté, qui au final ont été le théâtre de bien des infamies.
J'avais lu quelque part au début de mes recherches, que lorsque la liberté extérieure était suffisante, elle permettait une possible conquête de la liberté intérieure. Plus j'avance dans mon travail autour de cette thématique pour mes différents projets, mais aussi dans ma vie, et plus je pense que c'est en fait l'inverse. La liberté intérieure est la clé de tout. Que penser du prisonnier qui se sent libre au fond de lui, et de ceux qui, libres d'aller et venir et vivant dans un univers qu'ils ont créé, s'en sentent captifs? Beaucoup de gens s'estiment prisonniers de quelqu'un ou de quelque chose, alors qu'au final, ils ne sont que prisonniers d'eux-même. Car en dehors de toute privation physique de liberté ( et encore, je crois que c'est discutable ..), l'essentiel de nos servitudes m'apparait comme volontaire. Cette notion est vraiment fondamentale pour moi, car c'est la clé du problème. La liberté extérieure n'est réellement possible que lorsque celle de l'intérieure se vit. Et je repense alors aux colonies, et à tous ceux qui, refusant la résignation, sont morts au nom de la liberté.
Est-il facile d'accepter et d'assumer totalement notre liberté et par conséquent notre propre responsabilité? Ou est-il plus confortable de projeter la responsabilité d'un événement, d'une situation sur une personne, une chose extérieure? La prise de conscience de cette totale liberté et donc de cette responsabilité pour soi, mais aussi pour l'autre, peut donner le vertige. Car en plus d'être responsable, nous devons inventer notre propre cahier des charges des conduites à tenir. Sartre affirmait qu'il n'y a aucune excuse pour éluder sa liberté, et que cela revient sinon à se définir comme un objet, ce qui est selon lui une auto-tromperie.. C'est en ça que l'homme est condamné à être libre, ce n'est pas un choix, c'est le propre de son humanité. L'idée est alors d'agir pour ne pas subir, de réaliser son destin en oeuvrant, en prenant parti aux vues des événements, des situations, de se reconnaitre acteur de sa vie tout en approuvant la marche du monde qui nous entoure. Descartes affirmait que la liberté consiste à "changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde."
Je suis censé écrire cet article en parlant d'une histoire, d'une anecdote, afin de partir du particulier pour aborder le général. Je l'ai fait un peu à l'envers ce soir, mais bon...
C'est l'histoire d'une fille qui n'est pas libre d'écrire son article sur la liberté car elle travaille trop, qu'elle est très fatiguée, qu'elle a une tonne de choses à faire en plus de tout ça et que, au fond, ça l'arrange bien, de ne pas avoir à l'écrire, ce truc ... Mais grâce à l'univers qui fait souvent les choses à bon escient, même si on ne le comprends pas de suite, elle s'est retrouvé ce soir face à un article publié vide, ce qui l'a obligée à prendre ses responsabilités, à écrire de suite en mode libre-service, l'autorisant enfin à clarifier et assumer ce qu'elle pensait de la liberté.
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