100% pur boeuf
- solifleur
- 19 déc. 2016
- 4 min de lecture

Ce matin, c’était jour de courses, et je n’ai pu aller dans mon commerce habituel. Je me suis retrouvée perdue devant un rayon de surgelés inconnu, à la recherche de ma boite de steaks hachés familière… Fréquentant d’ordinaire un petit magasin, l’offre hallucinante contenue dans ce gigantesque congélateur m’a laissé songeuse. Je me suis amusée à faire le tour des différentes recettes et dénominations, quasi une dizaine… Bien consciente qu’aucun mot n’était laissé au hasard par les pros du marketing, je me suis quand même dit spontanément « pourquoi noter 100% pur boeuf, on sait bien que c’est pas du poulet! ».
Irrémédiablement fidèle en terme de steaks hachés, j’ai pris malgré tout le temps de détailler les différences entre les « hamburger », « moelleux », « spécial oignon » et autres, pour découvrir leur carte d’identité. Au final, une préparation de viande hachée (environ 80%) complétée par des protéines végétales auxquelles vont se rajouter leurs petits plus spécifiques, donc bien loin du 100% pur boeuf. J’entends déjà les puristes me souffler à l’oreillette que de toute façon, tout steak de boeuf qu’il soit, un vrai steak n’est déjà pas haché, alors ce genre de produits… Et ceux qui les consomment justement, de poursuivre en déclarant " qu’ils sont trop bons" ! Aux vues de l’offre généreuse dans toutes les marques, toutes les recettes et dans tous les taux de matières grasses proposés, il est évident que chaque produit trouve ses consommateurs. Et à entendre les opinions collectées à la volée autour de ce rayon hi-tech de la viande hachée, j’en suis même venue à me dire que quelque soit la recette qui habitait notre frigo, nous étions certainement persuadés que nous mangions tous un « authentique » steak haché pur boeuf.
Il m’est apparu alors complètement fou d’imaginer qu’en consommant des recettes et des saveurs très différentes, nous pouvions penser déguster le même produit. J’ai repensé alors au gratin dauphinois de ma mère, et à ma certitude que c’était sa recette la meilleure et donc la vraie! Comment expliquer cela? La seule réponse plausible, l’expérience sensorielle. Mon opinion s'était construite au fil des années grâce à ma palette sensitive, autour d'un paysage notamment gustatif mais certainement aussi visuel, olfactif et affectif, contenant mes souvenirs, mes expériences et tout cela constituait pleinement mon référentiel.
Et là, le mystère sembla se dérouler devant moi. Et si la quête de l'authenticité n'était pas une démarche purement intellectuelle, bien qu'elle puisse l'initier et/ou l'accompagner, mais une exploration sensorielle de soi-même?
Ma première idée se porta sur l’échelle d’évaluation. Aucun moyen de quantifier l’authenticité n’existe à ce jour, que se soit la sienne, ou celle d’un autre. C’est une question de ressenti, de « flaire »… Ce petit truc qui fait que, si vous êtes à votre écoute, vous retiendrez un geste car vous ne le ressentirez pas comme juste, au fond de vous. Ce petit truc qui vous fera comprendre que vous pouvez accorder votre confiance à celui qui se trouve face à vous. Une sorte d’intuition, basée sur nos ressentis, et une étude immédiate et inconsciente de nos expériences passées.
Deuxièmement, comment penser que la poursuite de l'authenticité uniquement basée sur une volonté intellectuelle puisse être totalement vraie? En effet, n’est-ce pas le piège de l’idéal, un piège où nos choix, nos actes seraient bons car conformes à une norme, un courant de pensées au lieu d’être bons car conformes à notre propre expression? L’authenticité prend alors toute sa réalité lorsqu’elle est basée sur ce que cela nous procure et non sur ce que l’opinion (la notre et/ou celles de autres) pense, attends. Pourrions-nous affirmer que nous sommes ce que nous ressentons? Une relation sensorielle à nous -même?
Je ne peux m’empêcher de me questionner sur le lien particulier qu’entretiennent certaines personnes avec les objets qu’ils consomment. En quoi l’authenticité des choses pourrait-elle leur donner le sentiment de nourrir la leur? Et par la-même de se sentir vraiment authentique? Je repense à ces démarches de retour au naturel. En quoi la femme qui décide de ne plus se maquiller, ne plus s’épiler pour être telle que la nature l’a créée, est-elle plus authentique que celle qui ne se sent elle que lorsqu’elle est fardée comme une star, parée de tatouages et de percings? Car c’est ce qui est là, au fond d’elle. Cela me fait penser à cette vague des produits "sans" qui au final en voulant supprimer les ajouts, finissent dans un extrême inverse par supprimer des nutriments naturellement présents, dénaturant le produit d'origine.
J’aimerai pousser ma réflexion plus loin, avec des exemples plus forts, plus engageants. Les choix autour de la sexualité, quels qu’ils soient.
Toutes ces personnes ont affronté la société, leur famille, les codes moraux, religieux imposés par notre culture judéo-chrétienne donc tout ce qui pouvait représenter l’aspect réfléchi, la démarche intellectuelle du problème, pour exprimer, du plus profond de leur être, leur authenticité. Je pense aussi à ces situations extrêmes des transsexuels, qui pour le coup sont un véritable exemple que votre propre ADN, censé représenter votre vraie nature peut se trouver être en totale inadéquation avec ce que vous êtes réellement. Et là, je suis vraiment époustouflée par la capacité d’écoute et d’accueil de ces personnes face à leur moi authentique, au point de se confronter, avant le regard des autres, à leur propre réalité corporelle. Un film, sorti récemment : « The Danish Girl » (2015), de Tom Hooper retrace de manière romancée l’histoire de la transformation du peintre Einar Wegener en Lili Elbe, connue comme la première femme transgenre, au début des années 1900. Les conflits du protagoniste auraient pu être traités plus profondément et de manière moins simpliste mais ce film a le mérite d'aborder ce sujet complexe. Visionné à l'occasion d'un vol, j'en garde un bon souvenir.
En relisant ces lignes, je me rends compte du lien fort entre l’authenticité et la liberté. En effet, c’est certainement une course vers la liberté que de chercher à être authentique, mais on peut se demander si cela ne peut pas être illusoire que de rechercher les deux simultanément dans leur totalité. Cette démarche doit rester centrée sur l’expression de soi, avec le choix de l'exprimer selon le contexte, au risque justement dans le cas contraire de nous priver de liberté en nous enfermant dans un diktat du « être soi à tout prix ».
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